Cultivant une mythologie très personnelle où l'érotisme omniprésent passe par une atomisation du corps et par son hybridation avec l'objet, Sylvie Ronflette qui pratique une sculpture fondée sur sa réalité psychique, installe progressivement son univers onirique.
Les nouvelles fées sont arrivées...
Ce que Sylvie Ronflette (1968) avait jusqu'à présent montré de sa production sculpturale, en premier à Mons (Belgique) où elle fut l'élève de Jean-François Octave (1) avant que la galerie Koma ne l'expose une première fois en 1993, ensuite au Centre d'Art Contemporain à Bruxelles, témoignait déjà que l'érotisme serait pour elle ce qu'il fut pour
Marcel Duchamp : le seul "isme" réellement acceptable.
Le corps atomisé et hybridé.
Oreille, main, front, cheveux, pied, torse ou jambe sont autant de membres détachés de leur anatomie et que Sylvie Ronflette nous donne à voir en pièces détachées et moulées afin d'évoquer peut-être l'idée freudienne d'un érotisme où "n'importe quelle partie du corps peut à la limite se trouver promue à l'état de zone érogène et de substitut aux organes sexuels". Constat également de notre incomplétude qu'Aristophane comprenait autrefois, dans Le Banquet de Platon, comme la cause du désir amoureux mais que
Deleuze et Guattari, à notre époque moderne où tout objet n'est que partie, évoque plutôt comme une disjonction irrémédiable ; " ... tout fonctionne en même temps, écrivent-ils dans L'anti-Oedipe, mais dans les hiatus et les ruptures, les pannes et les ratés, les intermittences et les courts-circuits, les distances et les morcellements, dans une somme qui ne réunit jamais ses parties en un tout (...). Nous sommes à l'âge des objets partiels, des briques et des restes. Nous ne croyons plus à une totalité originelle ni à une totalité de destination."
Pourtant, force est aujourd'hui de constater qu'il est encore bon nombre d'artistes pour entretenir les mythes... Pour nous raconter, à l'instar d'un Matthew Barney, l'histoire d'un homme échappant à son "destin anatomique" par le travestissement et l'hybridation.
Pour retrouver cette unité cosmique d'avant la séparation des sexes, et soigner - autrement dit - ce corps fracturé, Sylvie Ronflette, attentive aux sens des matériaux qu'elle utilise pour sa sculpture, s'en remet principalement au plâtre dont elle souligne ici la qualité orthopédique, comme si mouler tous ces membres revenait pour elle à les soigner. Soin spécifique qui renvoie, par la douceur du matériau lisse et l'intention du geste, aux caresses administrées pour le plaisir ou contre la douleur.
Ainsi, la représentation de Éros est-elle toujours en cet oeuvre comme dans le mythe tributaire de Thanatos, et la présence du corps intimement liée en l'occurrence à l'absence dont témoigne son empreinte moulée.
Passant de la série des savons où les relations d'intimité entre le corps et l'objet avaient été mis en oeuvre, à cette série d'hybridation où se joint à la sensualité cosmétique les tensions ergonomiques, Sylvie Ronflette accentue, en cette exposition, l'ambiguïté de l'érotisme. Si la peau et le savon se ressemblaient et s'assemblaient autrefois prosaïquement, il en est tout autrement des plâtres polissons pénétrés d'outillage métalliques.
C'est à la fusion des contraires qu'elle semble ainsi spontanément aspirer. Fusion d'abord de la sculpture classique et du ready-made moderne, alliant le plâtre et l'émail, l'artisanal et le manufacturé. Fusion ensuite du corps intime et de l'objet étranger, de la chair et l'écarteur métallique, de l'oeuf et de l'hameçon...
Une esthétique de l'hybride, productrice de monstres sortis d'un cinéma intérieur où se superposent en une surréalité des plus fascinantes, la réalité psychique et les images féeriques d'une femme-sculpteur.
Denis Gielen in Art & Culture / mars 1996
(1) A l'Ecole Supérieur des Arts Plastiques et Visuels.