Il apparaît que les femmes sont minoritaires dans l'utilisation des nouvelles technologies de communication. C'est particulièrement frappant si l'on considère la création de contenu sur les réseaux.
Nous avons rencontré deux femmes chez qui les technologies basées sur l'utilisation des ordinateurs ne provoquent ni poussée de psoriasis, ni répulsion d'aucune sorte.
L'une, Lut Verstappen est féministe et Gantoise (néerlandophone, donc, ce qui veut dire que le texte de son interview est une traduction); elle travaille à Bruxelles dans un centre de rencontre et de documentation pour femmes, Amazone. Elle met au point un projet de site pour cette association, mais est déjà présente sur Internet, avec son propre site, "A Web of One's Own".
L'autre, Catherine Lé, est française vivant en Belgique (travailleuse immigrée, quoi...) et gère un forum professionnel pour Agfa sur Compuserve.
Non contente de passer son temps de travail en communication électronique, elle est, durant ses loisirs, sysop* de deux autres forums de Compuserve, le forum belge ainsi qu'un forum français.
Aucune de ces deux femmes n'a suivi d'études d'informatique (si ce n'est un stage aux E-U, pour Catherine Lé).
Catherine: Les femmes sont là, mais pas forcément dans les endroits visibles, ni où vous iriez les chercher. Elles sont peut-être plus discrètes, aussi, mais elles ne sont pas majoritaires, c'est sûr...
Il y a des femmes qui ont fait des études informatiques, des femmes ingénieurs, qui femmes qui vendent du matériel et d'autres qui démontrent, j'ai commencé par là. Elles ne sont peut-être pas managers, elles ne sont pas forcément la première personne à qui l'on va penser pour représenter une activité technologique, mais, pourtant, je travaille avec beaucoup de femmes dans ce domaine.
Catherine: Au départ, l'informatique était essentiellement masculine, c'était la programmation, domaine mythique et réservé. Quand les femmes y sont venues, elles y ont changé quelques petites choses, mais je ne sais pas si elles ont essayé de s'approprier cette espèce de pouvoir presque magique de la même façon que les hommes au départ.
Les femmes sont peut-être plus discrètes, je ne sais pas si elles ont envie qu'on les découvre. Elle sont peut-être plus tranquille en faisant leur travail dans leur coin, en faisant ce qu'on leur demande, parfois même un peu plus, mais sans pour autant en faire tout un cinéma. Et je crois qu'un homme aura tendance à rouler des mécaniques un peu plus...
J'ai fait des études littéraires mais cela ne m'empêche pas d'être capable de démonter un PC. Je pourrais faire plein de misères à pas mal de matériels et ça marchera toujours après. J'ai fait du support, mais au niveau logiciel, et en essayant de rester du côté des gens plutôt que de passer du côté des machines.
Je sais des choses sur les ordinateurs, est-ce que je vais en même temps essayer de passer pour quelqu'un de génial, pour quelqu'un qui a plus de pouvoir que la femme d'à côté qui ne sait pas allumer l'ordinateur ? Pour moi, cela ne fait pas une grande différence.
Je pense qu'au départ, un homme a besoin beaucoup plus d'expliquer, de justifier, d'illustrer son rôle dans la société pour montrer qu'il a fait le minimum de ce qu'on attendait de lui, voire beaucoup plus, et un homme qui n'a pas accompli un parcours ou quelque chose qui est digne d'être présenté, aura des problèmes, soit vis-à-vis de lui-même, soit vis-à-vis d'autres personnes qui le verront comme quelqu'un qui n'a pas vraiment bien fait sa vie.
On ne demande, à priori, pas la même chose d'une femme, ou alors, quand on lui demande quelque chose, c'est beaucoup plus.
Lut: Plus je fréquente Internet, plus je me rends compte que la façon de communiquer y est différente que dans la vie réelle, plus détendue et plus directe. Le seuil d'accès à la communication est donc abaissé et cela permet d'augmenter les chances d'établir des contacts à l'échelle internationale.
Jusqu'à présent, les mouvements de femmes avaient des activités essentiellement locales, dorénavant cela ne sera plus le cas. Par exemple, lors de la conférence internationale des femmes à Pékin, un groupe de femmes a pu exercer un rôle actif depuis sa propre ville d'Amsterdam. La maison des femmes y était en contact permanent avec la délégation qui se trouvait à Pékin, et les femmes restées aux Pays-Bas pouvaient donc, par le moyen du réseau Internet, exprimer ce qui constituait leurs propres priorités. Cela a coûté beaucoup moins cher, évidemment que si l'on avait dû envoyer toutes ces femmes à Pékin.
Lut: Internet est très facile d'utilisation, au moins en ce qui concerne l'utilisateur; l'interface de Netscape est très conviviale et on voit très bien ce qu'il faut faire, sur l'écran, grâce aux icônes. Il suffit d'essayer et de voir ce qui en résulte. Quant à créer du contenu et à obtenir de belles mises en page, de bonnes images et une interactivité efficace, c'est différent. Il faut acquérir quelques connaissances techniques. Mais pourquoi les acquérir, dans un premier temps, alors qu'il y a déjà des gens qui les possèdent (le compagnon de Lut est lui-même responsable graphique d'une société qui crée des sites, The Reference).
Cependant plus les choses évoluent et plus je ressens le besoin de pouvoir me suffire à moi-même, et de ne pas devoir attendre que mon compagnon trouve le temps de faire les choses pour moi. Je suis donc en train de me former à l'HTML, pour atteindre une certaine autonomie.
Catherine: Le harcèlement sexuel n'est pas vraiment fréquent sur Compuserve, mais si cela arrive, nous lançons un avertissement, et si la personne ne se calme pas tout de suite, on prend les mesures qui s'imposent. En général, c'est une menace d'éjection et la plupart du temps, ça suffit, car il s'agit de gens qui ne savent pas trop jusqu'où ils peuvent aller. On a très peu d'éjections, en fait. Ce sont en général des femmes qui se plaignent. Il n'y a, malheureusement pas encore d'égalité dans ce domaine-là.
Je crois que les femmes savent mieux se tenir que les hommes sur les réseaux et, comme dans la rue, ce sont les hommes qui draguent.
Si les femmes veulent s'exprimer, ce sera, en général, d'une façon plus ouverte, plus posée; ce sera une demande de dialogue ou de discussion, mais pas "comment tu t'appelles, quel âge tu as, est-ce que tu es mariée" qui sont des questions typiques que les hommes posent au bout, en général, de deux minutes.
Je m'identifie toujours avec mon nom complet, et le nom de ma société quand j'y suis pour raisons professionnelles. Je n'ai jamais, même pensé, que je pouvais faire autrement, parce que, ce que je ne peux pas dire sous mon nom et en tant que femme, je ne le dirais pas, cela ne servirais strictement à rien.
Je pense aussi que c'est avec plus de femmes sur les réseaux sous leur vraie identité et avec leur personnalité réelle, qu'on pourra faire changer le paysage un petit peu.
J'ai reçu des messages de femmes me disant "j'ai peur" ou "je veux bien utiliser mon prénom, mais pas mon nom" ou, pire encore "quand je passe pour un homme, on me prend plus au sérieux", alors que les idées sont les mêmes; cela je l'accepte très, très mal.
Donc, la meilleure façon de combattre, c'est de persister et de signer en temps que femme, sans complexe.