Qu'est-ce que la vie, qu'est-ce que l'évolution ?
Un article du cahier multimédia de Libération attirait récemment notre attention sur Thomas Ray, un biologiste américain qui tentait de répondre à ces questions fondamentales en étudiant la vie dans la forêt équatoriale du Costa Rica et qui bientôt, en eu assez d'essayer de déduire l'évolution à partir de ses produits, plutôt que d'observer le processus lui-même. Dans une expérience qu'il baptisa projet "Tierra", il recréa donc ,virtuellement, le processus lui-même, en introduisant dans un ordinateur, les éléments fondamentaux à la base de l'apparition de la vie sur terre. Son "Etre" de base en est un "ver" numérique dont la longueur est de 80 bytes et dont l'énergie provient du processeur central de l'ordinateur, comme notre énergie nous vient du soleil. L'espace vital dans lequel évolue ce vers est constitué par l'espace mémoire de la machine. Jusque là, il ne s'agit que d'un programme capable de se reproduire, tel le plus banal des virus. Tom Ray dut donc rajouter à sa création un élément fondamental dans les processus d'évolution: le hasard qui provoque les mutations, ces mutations qui firent évoluer les organismes unicellulaires du début de l'apparition de la vie vers des organismes pluricellulaires, qui eux-mêmes ont évolué en vie végétale, en vie animale etc... |
Bientôt, Tom Ray observa des transformations dans la population initiale de son expérience: des vers parasites apparaissaient, qui profitaient des vers originaux en puisant dans le patrimoine "génétique" de ceux-ci. Puis des hyperparasites apparurent qui résistèrent aux premiers parasites, et ainsi de suite vers un type d'évolution qui permet à Tom Ray d'espérer arriver à un stade proche de l'ère cambrienne, qui est le début de l'ère primaire et lors de laquelle sont apparue les premières formes de vie sophistiquées dans la mer (il y a environ 500 à 600 millions d'années). Non seulement l'expérience de Tom Ray permet de visualiser le processus lui-même de l'évolution de manière infiniment accélérée , mais elle permet d'observer les principes de la vie en activité dans un écosystème différent que celui auquel les scientifiques sont confinés par la force des choses, à savoir l'écosystème de notre planète. En effet, en recherche fondamentale, on évite l'observation d'un modèle unique qui ne permet pas de distinguer l'accidentel (qui n'est propre qu'au modèle observé) du nécessaire (qui fait partie du processus fondamental et sans lequel ce processus n'aurait pu émerger). Jusqu'ici, même si on peut envisager l'hypothèse selon laquelle il existerait d'autres formes de vie, dans l'univers, que celle que nous connaissons sur terre et qui est basée sur la chimie du carbone et de l'hydrogène, ces formes de vie se situeraient hors de la portée des instruments d'observation scientifique dont nous disposons actuellement, la distance nous en séparant se chiffrant sans doute en millions d'années-lumières. Tierra constitue donc, dans une certaine mesure, un modèle autre, dont l'observation et la comparaison avec notre modèle terrestre devrait permettre de tirer des enseignements précieux. Par ailleurs, Tom Ray a cherché a diversifier les populations numériques issues de son expérience. Dans ce but, il voudrait que des colonies de "vers" se développent dans des écosystèmes numériques différent. Le moyen qu'il a trouvé est d'utiliser le réseau mondial Internet afin que des test soient menés dans de multiples ordinateurs, qui seraient autant de biotopes virtuels. L'un de ces tests est mené actuellement au laboratoire d'intelligence artificielle de la VUB (Université flamande libre de Bruxelles). Nous avons rencontré Christophe Wouters, l'étudiant- chercheur en charge de Tierra à l'AI-lab de la VUB, mais aussi le Professeur Luc Steels, directeur et fondateur de ce labo. |
Christophe Wouters
Luc Steels mène, avec son équipe, une expérience qui dans un premier temps ne se situe pas dans le monde virtuel, mais dont les tenants et aboutissants sont proches de Tierra.Son but est de reconstituer, chez des robots, et dans un biotope spécifique, des comportements complexes, proches des comportements intelligents du monde animal, et cela à partir de règles très simples. En effet l'hypothèse sur laquelle se fonde l'expérience, est que les mécanismes qui étaient à la base de l'apparition de la vie, sont les mêmes que ceux qui ont ensuite déterminé l'émergence de l'intelligence. Ces mécanismes sont fondés sur l'idée selon laquelle de règles simples émergent des comportements complexes. |
Le biotope créé par l'équipe du AI-lab de la VUB est constitué d'une station de recharge (électrique) dans laquelle les robots doivent reconstituer leurs réserves, et de bornes lumineuses qui consomment l'énergie du système. |
Pour les robots, il est essentiel que ces bornes ne consomment pas toute l'énergie dont la station de recharge a besoin pour leur propre usage. Pour éteindre ces bornes, les robots doivent donc les heurter jusqu'à leur extinction. |
Mais une concurrence s'établit également entre les robots présents dans le biotope, pour l'utilisation de la station de recharge. On voit donc les robots collaborer pour éteindre les bornes consommatrices de courant, mais s'opposer pour l'occupation de la station de recharge, et cela en se poussant hors de celle-ci, ou même en éteignant, lorsqu'ils l'occupent, la lumière qui permettra aux autres robots de repérer la station. Ces comportements programmés au moyen de règles très simples apparaissent, aux yeux du spectateur, comme ceux d'organismes possédant le pouvoir de penser et de sentir. Cerise sur le gâteau de l'expérience, celle-ci est retransmise sur le réseau Internet, et peut donc être visualisée et suivie par des chercheurs dans le monde entier. De plus, les paramètres de l'installation pourront bientôt être modifiés, via le réseau, et donc, le comportement des robots influencés. Nous assistons donc à une symbiose entre le monde réel des robots et le monde virtuel de l'Internet. |