Bruxelles. Un homme manifeste seul devant la Bourse. "Les parlementaire 3 min... Les Kurdes 8 min ... Les poètes 1 min ..."
Sa voix amplifiée par mégaphone communique à qui-veut-bien l'entendre un programme de manifestations... "Les S.D.F 10 sec ... Les commerçants 15 min... les écoliers 6 sec..."
L'Heure de Tous est arrivée...
L'organisateur de ce chahut c'est Angel Vergara ; un artiste-peintre qui selon sa propre formule "vit et travaille partout"... dans les rues, les cafés et les galeries d'art (Bruxelles, Reims, Cologne et Tokyo rien qu'en 1995!) où il réalise, planqué sous un drap fantomatique, des sortes de carnets de bords piégeant par bribes les bruits, les odeurs, les commentaires ou les déplacements de monsieur tout-le-monde... Angel Vergara "emballé" effectivement par sa toile prend sur le vif tout ce passe autour de lui. Il croque des "Actes et Tableaux" où l'espace est visualisé par une perspective qu'il annote... bruits invisible la circulation... canne... pigeon couple... c'est... cher manteaux voilà... histoire d'attraper au vol un peu de l'autre. Pour Angel Vergara, la peinture c'est visiblement plus que du 100 % acrylique, garanti sur toile et sur facture... c'est de la vie qui circule et qui s'échange !
La vie, la circulation, et l'échange : voilà trois notions que l'on retrouve aussi dans les petits commerces que Angel Vergara monte à l'occasion de ces expositions, pour y réaliser des sortes de tableaux vivants où s'opère la fusion de la peinture et de l'espace public/social. Des cafés surtout (Café del Anno, Le bar d'en Face, Ripple Bar...) mais aussi une Gelataria, une chapellerie et un supermarché de pommes ; le tout fonctionnant "pour du vrai" lorsque le peintre s'y dévoile patron de bistrot, vendeur de chapeau ou marchand de crème glacée.
Si Angel Vergara choisi donc la Bourse, pour y manifester sa colère, c'est que ce lieu où se marchandent les monnaies symbolise, au contraire de ses petits commerces, la valeur purement spéculative que l'argent a prise aujourd'hui. "L'argent est devenu horrible, explique Angel Vergara. Autrefois, il était garant des échanges entre les hommes, maintenant il est devenu lui-même objet de consommation, dans une société où tout s'achète..."
Un nouveau statut que Angel Vergara comprend sans l'admettre, lui manifestant son opposition par une oeuvre critique et volontaire, non dépourvue d'humour, mais où l'argent retrouve en tous les cas ses lettres de noblesses. Pour illustrer cet engagement : deux expositions qui eurent lieu l'an dernier. Primo, Le Supermarché de l'Année organisé en la Maison Belge à Cologne, où Angel Vergara offrait aux visiteurs des chèques-cadeaux d'une valeur d'1 Pomme échangeable à son comptoir. Secundo, le Cambio del Ano à Revin (France) qui changea en Nanards (une monnaie parallèle édité par Vergara) les devises ordinaires. Pendant une semaine, les billets de Dix Nanards eurent ainsi cours chez la plupart des commerçants et artisans de Revin, transformant la ville en un vaste jeu de société... lieu d'une contrebande imaginaire entre des habitants devenus les complices d'un trafic de Nanards.
Des billets à l'effigie d'un illustre inconnu, Bernard Claeys... et contre qui s'échange Delacroix !
Denis Gielen.